no 18/ Enseigner au pluriel la philosophie africaine

page d’accueil du projet Atopos

Sous un angle qui met en vedette l’ethnophilosophie de Placide Tempels, on a coutume de présenter le fameux débat sur l’existence de la philosophie africaine comme le tout de la discipline. Au mieux évoque-t-on parfois le dépassement de ce courant sans nécessairement identifier les tendances au sein des grands ensembles théoriques qui se discutent en philosophie africaine et qui témoignent de la vivacité d’une modernité intellectuelle endogène à l’Afrique.

Dans le cadre du projet Atopos*, à l’encontre de cette propension au rétrécissement de la pensée critique africaine, j’ai préparé un document d’introduction et de synthèse regroupant différentes contributions africaines et afrodescendantes autour de prémisses communes, caractérisant deux courants majeurs du domaine de recherche qualifiée avec Lucius Outlaw de « philosophie africana ». Le texte du module d’enseignement peut être téléchargé ici :

L’approche africana tire sa légitimité de l’étude critique de l’expérience existentielle et sociohistorique d’être noir et/ou africain. Élucidant les conditions de leur longue durée, les spécificités de l’existence africana ont émergé à un moment précis de l’histoire de l’expansion coloniale occidentale coïncidant avec l’émergence de la Modernité philosophique. La révolution haïtienne de 1804 y a également joué un rôle majeur en initiant une rupture radicale avec le paradigme esclavagiste en vigueur à l’échelle internationale.

L’anthropologie africana est mise en contraste avec le libéralisme philosophique pour qui la liberté et l’autonomie de la raison sont prises comme des propriétés proprement humaines, notamment chez Kant. En déniant l’acquisition de ces valeurs principielles aux peuples colonisés, les théories raciales telles que celle élaborée par l’ethnologue Lucien Lévy-Bruhl présentent la culture occidentale comme téléologie et, ce faisant, se pose comme un faux universel.

Le module explore ensuite les postulats invariants de la description de la conception africana de l’être humain. Elle est d’abord caractérisée par une approche phénoménologique de l’expérience africana, au sein de laquelle l’expérience du racisme et de la racisation occupe un rôle central. En visant le dépassement du traitement d’indignité que l’histoire a réservée à ses sujets, la philosophie africana a donc également une dimension nécessairement émancipatoire.

Deux sous-ensembles sont ensuite présentés comme 1) position forte et 2) conception ouverte de l’humanité africaine. La philosophie bantoue de Placide Tempels et l’afrocentricité de Molefi Kete Asante sont survolés comme exemplaires du premier type d’approche. Nourries par la crainte de voir l’humanité africaine enfermée dans un particularisme étroit, la pensée prospective de Souleymane Bachir Diagne et l’afropolitanisme d’Achille Mbembe sont présentés quant à eux comme illustratifs du deuxième type d’approche. Enfin, une dernière section explore la pertinence de la philosophie africana pour penser l’actualité de la restitution du patrimoine culturel africain et du phénomène global du déboulonnage des statues de figures associées à l’entreprise coloniale.

Ce plan d’enseignement est suivi d’une bibliographie commentée d’auteurs cardinaux tels que Fabien Eboussi Boulaga, Paul Gilroy, Achille Mbembe, Charles Mills et quelques autres contemporains. Sur la page web associée du CCDMD, le module est accompagné d’un diaporama, d’un questionnaire et d’une vidéo d’entretien avec Marie-Évelyne Belinga sur l’importance que représentent les matériaux du conte, du mythe et de la légende pour la pensée africana.

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* Imaginé par les professeurs du CÉGEP de Lévis-Lauzon, Benoît D’amours et Sophie Savard-Laroche, le projet Atopos est un effort de diversification de l’enseignement de la philosophie au collégial. Une quinzaine de participants ont contribué à ce projet stimulant se matérialisant en un ensemble de documents pédagogiques disponibles gratuitement en ligne sur le site du CCMD. Destinés aux enseignants soucieux d’élargir leur conception de l’être humain dans leur enseignement du cours d’anthropologie philosophique, six modules sont présentés de manière didactique : perspectives décoloniales, féministes, africana, autochtones, antispécistes et antiracistes. Il s’agit d’un outil de synthèse et de vulgarisation sans précédent.

no 12/ Ressources pédagogiques (5)

ressources pédago 5

Ce billet fait suite à quatre autres que j’ai précédemment publiés, soit le « Guide de survie de la recherche sans accès institutionnel » (1), « S’initier à la philosophie africaine contemporaine » (2), « Par-delà (?) la « race » (3) et « Toubab et philosophe africaine » (4).  Les billets de même nature, c’est-à-dire ceux qui hébergent du matériel pour l’enseignement et la recherche en philosophie africaine, sont réunis sous la catégorie des « Ressources pédagogiques » de mon blogue (en bas, dans la colone de droite*).   Pour faciliter leur consultation, ils seront désormais tous intitulés « Ressources pédagogiques » suivi de leur rang dans l’ordre de publication.

Les articles et chapitres en format numérique :

  • Les articles de ce Handbook of African Philosophy of Difference sont téléchargeables gratuitement.
  • Les archives de la revue Radical Philosophy qui accueillent en ces pages plusieurs articles en philosophie de la race, dé/postcoloniale et féministe.
  • Le Journal of World Philosophy qui se donne pour mandat de créer un espace commun où discuter de la manière dont les grands enjeux philosophiques, qu’ils soient d’ordre méthodologique, épistémologique, herméneutique, éthique, social ou politique, puissent être abordés dans une perspective comparative entre différentes traditions philosophiques, incluant celles minorés dans l’histoire.
  • Les Archives e-Journals Project archivent une dizaine de journaux spécialisés en études africaines. On peut y faire une recherche par revues ou par mots-clés.
  • La page Hypatia Reviews Online permet de survoler les arguments d’ouvrages féministes qu’on pourra ensuite décider de se procurer ou non, comme par exemple celui de Kathryn T. Gines Hannah Arendt and the Negro Question. Plusieurs recensions audio traitent par ailleurs de la question de la race.

Les bases et archives institutionnelles :

Les documents audiovisuels :

  • J’ai ouvert une chaîne youtube à mon nom où j’ai commencé à constituer différentes listes de lecture (playlists) par thématiques générales, pour l’instant : féminisme africain, histoire de la longue durée africaine, penser l’économique et le politique, modernité et philosophie africaine, philosophie de la race, entrevues (Thinking Africa), traite et esclavagisation. Une playlist est consacrée entièrement à certains auteurs, dont Franz Fanon, Achille Mbembe, Valentin-Yves Mudimbe et Souleymane Bachir Diagne. À l’image de ce blog, cette chaîne est évidemment destinée à rester évolutive.
  • Thinking Africa a eu la générosité de consacrer l’été dernier une heure d’entrevue filmée sur mes travaux de recherche.
  • Bien entendu, il ne faut pas rater la nomination de François-Xavier Fauvelle comme titulaire de la nouvelle Chaire permanente d’Histoire et d’Archéologie des Mondes Africains du Collège de France pour s’abreuver des différents événements (cours, conférences, colloque, leçon inaugurale) qui y sont organisés et archivés sur leur site.
  • Il faudra aussi surveiller comment sont archivées les diffusions en direct des sessions de la 3e édition des Ateliers de la pensée qui se tient au moment de rédiger ce billet, particulièrement stimulante.

Les podcasts :

En attendant de comprendre comment et sur quelle plateforme partager mes listes de lectures, je restitue ici certains podcasts écoutés ici ou là et qui m’ont semblé particulièrement édifiants :

Le(s) blog(s) :

Pour finir, à noter le blogue de la professeure de philosophie de l’université VU Amsterdam Angela Roothan qui y aborde différents sujets de philosophie africaine et enjeux relatifs à la diversification du cursus d’enseignement de la philosophie.

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*À ce sujet, n’oubliez pas de consulter également l’agenda figurant dans la colonne de gauche du bas de la page de ce blogue, laquelle réunit différents dates importantes de réception d’appels de propositions, de candidatures de postes, de conférences et d’événements pertinents. Cet agenda est régulièrement actualisé. 

 

 

no 9/ « faire que le possible marche en avant du réel»

     – Kasereka Kavwahirehi, Y en a marre ! Philosophie et espoir social en Afrique (Karthala, 2018)

Ces mois de mai et juin 2019, j’ai été amenée à voyager à Kigali au Rwanda et à Kinshasa en République Démocratique du Congo. J’y ai passé plus d’un mois pour y honorer différents engagements académiques et explorer les possibilités de collaborer avec différentes universités. 

J’ai répondu à Kigali à l’invitation à participer à un comité d’experts sur l’Histoire générale de l’Afrique où nous étions une douzaine de chercheur.e.s africain.e.s et internationaux invités à réfléchir aux prérequis à l’élaboration d’un glossaire décolonial à usage pédagogique. À l’occasion, nous avons chacun été amené à présenter un cours texte contributoire à la réflexion.  J’ai pour ma part présenté un résumé de l’article que je venais de publier dans le dernier numéro de la revue Présence africaine (2018/1, 197), « Ujuzii! Décoloniser les humanités », dirigé par Martial Ze Belinga. Il s’agit du texte « Philosophie africaine et décolonisation des humanités : une exigence radicale » dont on peut trouver ici la version pré-publication : ABADIE_Décoloniser les humanités

À Kinshasa, j’ai d’abord donné une séance d’enseignement à l’Université Catholique du Congo dans le cadre d’un cours élaboré en collaboration avec le département des sciences religieuses de l’Université de Montréal : j’y ai dispensé un cours d’introduction sur la pensée d’Achille Mbembe et la critique postcoloniale en abordant 1) les caractéristiques de la critique postcoloniale ; 2) le diagnostic critique du discours occidental et des impensés de la race ; 3) la proposition prospective de l’afropolitanisme. Le texte de ma présentation : PRÉS cours sur Mbembe.

À l’invitation du Père Emmanuel Bueya des Facultés de Philosophie de l’Université Loyola du Congo, je suis aussi intervenue aux côtés du professeur Ngoma Binda sur le thème « La philosophie africaine : pourquoi faire? » au Centre culturel Boboto. J’y ai fait une intervention qui, en suivant l’axe de la décolonisation épistémique, explorait les effets concrets de la colonialité sur les discours philosophiques et scientifiques ayant pour objet l’Afrique et l’africanité, mais également les pratiques du pouvoir en postcolonie ou les prémisses théoriques de l’économie du développement.  CONF_Philosophie africaine contemporaine notre temps.

Enfin, mon séjour s’est conclu par une participation au Colloque international sur l’héritage décolonial de la théologie de Jean-Marc Ela, organisé par Denise Couture et Ignace Ndongala de l’Université de Montréal. J’ai choisi d’y présenter l’héritage qu’a exercé la pensée d’Ela sur celle du philosophe congolais (par ailleurs professeur au département de français à l’Université d’Ottawa) Kasereka Kavwahirehi avec une allocution intitulée : « Kasereka Kavwahirehi : une herméneutique du monde d’en bas ».  J’y ai présenté son dernier ouvrage Y en a marre! Philosophie et espoir social en Afrique (Karthala, 2018) en suivant trois axes : 1) l’herméneutique du monde d’en-bas d’Ela et Kavwahirehi ; 2) une méthodologie inspirée de la théorie critique ; 3) les signes d’un monde qui vient.  CONF Colloque Jean Marc Ela_Kasereka Y’en a marre

Lors de mes interventions devant des étudiant.e.s, j’ai eu le coup de coeur pour la vivacité d’esprit des jeunes auditeurs et pour leur soif immense d’espérance. L’avenir du monde appartient aux jeunesses africaines…

no 8/ Guide de survie de la recherche sans accès institutionnel (partie 2/2)

On l’aura compris à ce stade (la première partie de ce billet est ici), l’argent est bien entendu le nerf de la guerre dans l’université mondialisée, en particulier celui investi dans la recherche. Lorsqu’on est membre (étudiant.e.s, professeur.e.s, employé.e.s, etc.) d’une université prestigieuse, on a accès à une série d’outils dont les frais ont été défrayés par l’institution, dont des moteurs de recherche performants, des bases de données presque exhaustives, des formations à la recherche, des prêts entre bibliothèques, etc. grâce auxquels on peut accéder presque instantanément aux articles convoités.

Il m’arrive souvent de recevoir des messages d’étudiant.e.s inscrit.e.s dans des universités en difficulté me demandant de la littérature pour leur sujet de recherche en philosophie africaine. Si je peux certes en partager, il m’a semblé au bout d’un moment que la meilleure manière d’accompagner ces étudiant.e.s de cycle supérieur était non pas de les fournir en documentation mais de les aider à devenir des chercheur.e.s : or on ne devient chercheur.e qu’en cherchant…

Il existe des moteurs de recherche beaucoup plus efficaces que ceux que je présente ici, mais lorsqu’il n’y a pas d’autres alternatives, on peut très bien documenter une recherche rigoureuse en usant de différentes stratégies, sans y laisser sa chemise. Même sans forfait institutionnel, on peut, avec un peu de doigté, trouver des textes scientifiques sérieux, récents, publiés dans leur intégralité et tout à fait pertinents à sa problématique. Quoique je ne les emploie pas toutes dans les mêmes proportions et qu’elles ne parviennent pas toujours à honorer leurs promesses, je partage ici quelques unes de mes stratégies pour mieux naviguer dans la littérature scientifique accessible sur le web. Dois-je le dire, il est évident qu’elles ne sauraient se substituer à l’adoption de politiques institutionnelles en la matière.

S’inspirer pour affiner sa problématique

Pour commencer, écartons une avenue : non, le recours à l’encyclopédie Wikipedia (beaucoup trop généraliste en philosophie) ou au moteur de recherche Google sans autre forme de raffinage ne permet pas de trier le bon grain de l’ivraie sur le plan scientifique. Pour ma part, s’il m’arrive certainement de consulter Wikipedia, je me garde de penser qu’il s’agit là de plus qu’une étape préliminaire. Je la conçois comme une façon de trouver l’inspiration, à la manière de cette bonne vieille méthode consistant à feuilleter les entrées de votre dictionnaire Robert, ce qui me permet d’identifier une ou deux clés d’orientation avant d’entreprendre véritablement la recherche qui me permettra de cerner ma problématique. Mieux vaut commencer par la lecture attentive d’un seul article scientifique de bonne facture en y identifiant des ressources utiles dans la bibliographie et d’en remonter le fil, que d’espérer trouver de la documentation pertinente, les yeux bandés, sur le web…

Lorsque j’ai besoin d’orientation ou d’inspiration sur un thème précis qui m’est moins familier, je rend plutôt visite au site de la Standford Encyclopedia of Philosophy sur laquelle on retrouve d’excellentes entrées généralistes accompagnées d’une liste de références bibliographiques utiles. Il faut néanmoins lui reprocher de ne couvrir que très peu les champs hors de l’orthodoxie anglo-saxonne. En philosophie africaine, on peut aussi consulter l’entrée « History of African Philosophy » de l’Internet Encyclopedia of Philosophy, quoique le panorama dressé me semble assez peu représentatif : les références, cependant, sont intéressantes.

La bibliothèque numérique Les Classiques des sciences sociales sur laquelle on peut trouver beaucoup d’ouvrages ou d’extraits de grands classiques, notamment en méthodologie des sciences sociales (Bourdieu, Lévy Strauss, Weber, Foucault, etc.). On y retrouve également une catégorie générale « Sciences du développement » et des rubriques (sous la catégorie générale « Les contemporains »  qui pourraient être ou devenir (certaines sont encore vides) utiles, telles que « études haïtiennes », « camerounaises » ou « ivoiriennes ».

Chercher un document ou un auteur précis

Pourvu qu’on procède avec discernement, le moteur de recherche Google peut s’avérer très utile, ce de plusieurs manières. On peut y taper l’ISBN d’un livre ou le DOI d’un article et espérer l’y trouver. Si on ne les connaît pas, on les trouvera sur WorldCat (voir plus loin). On peut aussi taper dans Google les mots-clés du titre de l’article, du livre ou le nom de l’auteur que l’on recherche suivi de « pdf ». Cette stratégie d’une simplicité désarmante donne souvent de très bons résultats. Soyez néanmoins extrêmement vigilants à ne pas donner d’informations personnelles à une plate-forme tierce qui vous promet le document en échange de données sur votre identité. En cas de doute, abstenez-vous (pour ma part, le doute est permanent). On peut aussi faire exactement la même requête dans un autre moteur de recherche (Chrome, Ecosia, Ask.com, Bing, etc.) pour des résultats parfois surprenants.

Plus pointu, Google a également développé son propre moteur de recherche pour chercheur.e.s, Google Scholar (.com ou .fr), assez décevant néanmoins en ce qui a trait à la recherche sur l’Afrique qui est généralement mal indexée. L’extension .com archive un plus grand nombre de publications (dont surtout celles en anglais) mais il arrive qu’on puisse trouver des références différentes sur scholar.google.fr, lorsque, bien entendu, les écrits sont rédigés en français. B.a-ba d’une recherche efficace : il faut lancer une recherche à partir de mots-clés (sans les articles ou pronoms) (ex.: « racisme Afrique » au lieu de « l’histoire du racisme en Afrique coloniale »), d’autant que le moteur de recherche de Google Scholar n’est pas très performant. Inutile ici d’espérer trouver mieux avec la fonction « recherche avancée ».

Je l’écrivais dans la première partie de cette série de deux articles, Academia et Researchgate ne sont pas à proprement parler des ressources en accès libre puisqu’ils exigent une inscription de votre part (i.e. que vous leur fournissiez des informations sur vous) pour vous donner accès aux ressources qu’y archivent leurs auteurs. Dans l’état, il est néanmoins difficile de faire l’impasse sur une présence sur ces plateformes où convergent un nombre important de membres de la communauté scientifique. Vous pouvez y chercher par mots-clés ou par domaines d’intérêts dans leurs moteurs de recherche et accéder à l’intégralité de la plupart des travaux que ces sites hébergent.

Dans le même genre mais explicitement engagée en faveur du libre accès, Humanities Commons est une plateforme de discussion et de partage de la recherche et d’outils pédagogiques. Malheureusement, on y trouve assez peu (voire pas) de ressources sur la philosophie en Afrique et celles que l’on trouve ne sont qu’en anglais. Le Directory of Open Access Journals semble donner de bons résultats, surtout pour les études islamiques et la théologie chrétienne. Le répertoire équivalent de livres en accès libre, le Directory of Open Access Book, existe mais ne semble pas donner beaucoup de résultats d’intérêt pour développer une pensée critique sur l’Afrique.

Mes préférés

Utilisé seul sur sa plate-forme ou avec Google Scholar, Kopernio est un outil que j’aime beaucoup et que j’espère voir s’enrichir à l’avenir. Il s’agit d’un module que vous installez sur Firefox, qui vous accompagne dans vos recherches et vous déniche les versions gratuites d’articles verrouillés, en les débusquant grâce à leurs systèmes d’analyse de données, sur des sites d’éditeurs, des sites personnels, dans des dépôts institutionnels, sur des serveurs d’archives pré-publications, etc. (Bon à savoir, il est possible que l’ajout d’un module à votre serveur ralentisse votre accès à la bande passante, ce qui peut s’avérer handicapant dans les environnements où la connexion internet est mauvaise ou erratique.

Autre outil que j’affectionne beaucoup parce qu’il donne de bons résultats en philosophie africaine, le moteur de recherche FreeFullpdf vous dénichera également des articles, des thèses, des livres, en format .pdf en accès libre, en anglais et également en français. Figurait, par exemple, dans la première page de résultats d’une recherche avec le mot « ethnophilosophie » l’intégralité de l’ouvrage (594 pages) dirigé par l’estimé Kwasi Wiredu A Companion to African Philosophy (que j’ai dans ma bibliothèque et dont je peux vous confirmer qu’il est loin d’être abordable).

Même principe pour l’OpenEdition Search qui, avec une recherche sur « Mudimbe » vous renvoie à une série impressionnante de 30 pages de résultats comportant des chapitres de livres, d’articles, d’appels à propositions, etc. de hautes factures scientifiques et que vous pouvez tous télécharger librement.

Il faut également rendre justice à ces revues d’une très grande qualité scientifique. La première est spécialisée en philosophie africaine : Quest. an African Journal of Philosophy, et rend accessible une part importante de son catalogue. Polylog se présente quant à elle comme un forum de philosophie interculturelle et héberge plusieurs numéros de philosophie africaine, ou pertinents pour penser les enjeux qui s’imposent à l’Afrique. La revue Feminist Africa est d’une grande richesse pour les études féministes et de genre en contexte africain. Enfin, on ne peut pas conclure sans évoquer le catalogue virtuel du CODESRIA qui rend disponible en intégralité certains textes, voire parfois, certains livres : ainsi, en cherchant « Bachir Diagne », on peut trouver la version intégrale de L’encre des savants dans sa traduction anglaise. Malgré que le CODESRIA soit une réserve incroyable de savoirs d’utilité panafricaine, on doit regretter malheureusement que le site soit peu intuitif et le moteur de recherche, pas très performant.

En dernier recours…

Lorsqu’on ne trouve pas ce que l’on cherche, on peut découvrir en chemin d’autres articles traitant de notre sujet d’une manière similaire à notre requête initiale ; des textes différents du même auteur ; ou parfois, seulement une section du texte recherché. Parfois, lorsqu’elle est faite de manière sérieuse, une recension peut quelquefois se montrer tout à fait satisfaisante pour les besoins qu’on avait de consulter l’ouvrage (et même, avoir digéré pour nous une partie du travail!).

Finalement, il existera toujours cette stratégie (à utiliser avec parcimonie si c’est avec votre directeur ou directrice de thèse) consistant à invoquer auprès d’un.e chercheur.e membre d’une institution l’amitié scientifique… Pour lui rendre la vie facile, vous pouvez faire par exemple une recherche sur le texte convoité dans WordCat. Ce catalogue mondial de toutes les publications indexées par les bibliothécaires universitaires vous permet de trouver les DOI (identifiants numériques) et les ISBN (identifiant international des livres) et de retracer facilement l’emplacement physique d’un ouvrage dont vous auriez besoin. Vous pouvez ainsi savoir si votre texte se trouve à la bibliothèque de l’Université où votre cousine fait son séjour de recherche, ou à laquelle travaille votre collègue…

Bonne recherche !

no 8/ Éditeurs commerciaux et colonialité épistémique (partie 1/2)

There is a need to face the terrible reality of Africa-based researchers who are constantly faced by paywalls, ruthlessly expensive access, and publication fees. While Africanists in western universities benefit from their institutional subscriptions, the rising costs of scientific journals are unsustainable even for Canadian universities, let alone for under-funded African academic institutions.

Il y a quelque temps paraissait sur le site d’analyse et de critique Africa is a country un billet décapant signé Haythem Guesmi intitulé « The gentrification of African studies » dont est extraite la citation en épigraphe. Le texte pose un diagnostic qui mérite d’être lu intégralement. Si mon attention s’est fixée sur la justesse de plusieurs des conclusions qui y sont tirées, je l’évoque ici surtout pour introduire ce billet sur l’accès libre que je souhaite écrire depuis longtemps. Je suis toujours étonnée en effet par le peu d’engouement de la plupart des chercheur.e.s engagé.e.s scientifiquement en faveur de la décolonisation des savoirs à promouvoir et adopter activement le libre accès comme un enjeu de première importance.

Les multinationales du savoir

On peut compter sur les doigts d’une main le nombre d’éditeurs universitaires qui, à eux seuls, se partagent la moitié du marché de l’édition savante. Entre 1986 et 2011, non seulement le prix des revues qu’ils éditent a été multiplié par 4, ils ont également réussi à imposer des conditions indécentes aux bibliothèques universitaires à la faveur du passage au numérique. À ces dernières, les éditeurs n’autorisent plus en effet l’achat de revues « à la pièce » ou alors à des coûts tellement rédhibitoires que les budgets d’établissement leur interdisent de faire de tels choix.

Plutôt, on leur propose des abonnements par « bouquets », chacun contenant un ensemble de revues de qualité et de prestige inégal. De telle sorte qu’au lieu de se doter, par exemple, de trois revues hautement convoitées, les bibliothécaires se trouvent contraints d’acquérir plusieurs dizaines de revues supplémentaires d’intérêt relatif afin de s’assurer l’accès aux dites trois revues, avec un coût correspondant à l’accroissement des acquisitions. S’en étonnerait-on, les périodiques les plus en demande par les chercheur.e.s se trouvent disséminés dans une panoplie de bouquets dont la tarification augmente par ailleurs de 10 à 20% annuellement.

En 2017, les auteurs de l’UdeM ont publié gratuitement 2544 articles chez les cinq grands éditeurs commerciaux que sont Elsevier, Wiley, Springer, Taylor & Francis et Sage. Toujours en 2017, les bibliothèques de l’UdeM ont néanmoins dû payer 3,8M$ pour accéder aux périodiques de ces cinq mêmes éditeurs… *

Leur modèle d’affaires (aussi lucratif que celui des pharmaceutiques) repose pourtant entièrement sur la production non-rémunérée d’articles produits par des chercheur.e.s ($), le plus souvent financé.e.s par des fonds publics ($$), qui lèguent au passage leurs droits d’auteurs à la revue ($$$), voient leur soumission évaluée par des pairs sollicités pour effectuer une révision bénévole ($$$$) qui, au final, ne sont accessibles que via un abonnement par les bibliothèques ($$$$$) ! Ce qu’on appelle virginalement l' »économie du savoir » repose en somme sur une économie de rente (si ce n’est un cartel?) rendue possible par la prédation des canaux de diffusion. Avec de telles pratiques léonines, autant dire sans se tromper que la plupart des institutions des Suds sont hors course des circuits transnationaux de la recherche, ce dès la ligne départ, et que les travaux produits par leurs chercheur.e.s sont sans surprise, sous-représentés au niveau mondial.

Espoirs et déboires du libre accès

Au sein de cet écosystème, le libre accès cherche à briser ce privilège et les éditeurs à but lucratif l’ont très vite compris : il est de plus en plus fréquent en effet qu’ils fassent aux auteur.e.s la proposition aberrante de débourser eux-mêmes des frais supplémentaires (qui peuvent s’élever à plusieurs milliers de dollars, selon les disciplines) s’ils souhaitent rendre leurs travaux librement accessibles. La définition formelle du « libre accès » ne s’accommode pas aussi facilement de ce petit aménagement : le « libre accès » suppose en effet l’entière gratuité, qu’elle soit monétaire ou informationnelle (lorsque le site exige votre inscription, vos noms, institutions, coordonnées, etc.). En principe, donc, les sites d’Academia.edu ou de ResearchGate.net, s’ils donnent certainement de la visibilité aux travaux et permettent de mettre en réseau un grand nombre de chercheur.e.s (et à ce titre, sont structurellement incontournables) ne sont pas stricto sensu des ressources en libre accès, même dans leur version gratuite. Leurs systèmes d’analytiques ont d’ailleurs le vilain défaut d’encourager l’appauvrissement du champ des possibles découvertes scientifiques en faisant de ce qu’ont lu les membres de votre réseau les frontières de la revue de littérature qu’il faudrait avoir couvert.

Depuis le Nord où un nombre croissant de travaux est produit sur la décolonisation des savoirs ou sur des thèmes d’intérêt pour les diasporas et leurs communautés natives, nous avons la responsabilité de ne pas verrouiller nos publications si tant est que nous accordons une valeur émancipatrice à l’éducation et à la connaissance. Si ce qui sera exposé à la suite ne résoudra certes pas le déséquilibre dans la relation de réciprocité scientifique que nous devrions viser, à moins de militer pour le « décrochage », de la recherche mondialisée, des écosystèmes de recherche des Suds (une stratégie défendable, même si je ne la partage pas), on peut au moins au Nord opposer aux options à visées commerciales deux alternatives, appelées voies « dorée » et « verte ».

La voie dorée consiste à publier directement dans une revue en accès libre qui publie les articles sous l’une ou l’autre des licences Creative Commons. Le Directory of Open Access Journal indexe des milliers de revues scientifiques de qualité en accès libre et qui suivent un processus éditorial rigoureux d’évaluation par les pairs.

La voie verte consiste quant à elle à auto-archiver ses propres publications sur son site personnel, son blogue ou sur une archive institutionnelle (d’une université, d’un centre national de recherche, etc.). Même avec une revue payante, les contrats d’édition autorisent généralement l’archivage de l’une ou l’autre des versions du texte (finale, soumise, corrigée, originale, etc.) sous réserve parfois de respecter un certain délai entre la publication et l’archivage. Dans certains cas, on peut même rendre accessible son texte en primeur antérieurement à la publication officielle dans la revue. En cas de doute sur les possibilités contenues dans le contrat d’édition, on peut consulter différents répertoires comme Sherpa/Roméo (angl.), Héloïse (fr.), Dulcinea (esp.) ou encore vérifier auprès de l’éditeur lui-même.

Parce que l’archivage institutionnel est fait par des professionnel.le.s de la préservation, la valorisation et la diffusion des savoirs, elle est à privilégier lorsque possible : grâce à leurs soins, 93% des archives institutionnelles sont indexées sur le moteur de recherche Google Scholar, par exemple, ce que l’auto-archivage « à la mitaine » ne permettra jamais d’atteindre.

Avec son programme Horizon 2020, l’Union Européenne s’est engagée dans la voie contraignante en exigeant des titulaires de fonds de recherche européen la diffusion en accès libre de leurs travaux, sous peine de sanction financière dans le cas d’un non-respect des conditions. Ces principes s’appliquent aussi officiellement aux bénéficiaires de fonds d’organismes subventionnaires canadiens, mais je connais un nombre incalculable de chercheur.e.s qui font fi de cette consigne sans que cela n’entraîne de conséquences.

Les éditeurs prédateurs

On ne peut pas conclure ce billet sans évoquer l’existence de cet autre phénomène pervers né à la faveur de la mondialisation de l’université : les éditions prédatrices. Vous est-il arrivé de recevoir un message d’une maison d’édition que vous n’avez jamais contactée et qui, s’affublant de l’épithète respectable d' »universitaire », vous annonce se réjouir de la perspective de publier votre thèse? S’il existe certainement de nouveaux éditeurs inexpérimentés qui cherchent à construire leur catalogue et vont à la pêche aux candidat.e.s, les éditeurs dits prédateurs sont le plus souvent mal intentionnés et abusent à la fois de la naïveté (ou de l’orgueil) de jeunes auteur.e.s, et de la pression universitaire à la publication à tout prix (publish or perish). Ne s’intéressant pas à la qualité ni du manuscrit ni de la publication finale, ces éditeurs ne suivent pas les procédures usuelles de l’évaluation scientifique**, mettent très peu d’efforts à la révision et mise en pages, ne remplissent pas leurs promesses de diffusion, exigent de l’argent pour vous publier, etc.

De telle sorte qu’une publication chez ce type de maison d’édition, au lieu de jouer en faveur du candidat.e. dans un CV, le discrédite au regard de ceux qui connaissent le phénomène. En cas de doute, on peut consulter l’outil créé par l’Université de Brock afin de faciliter l’identification de ces faussaires.

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Notes et références

Les informations contenues dans ce billet sont une synthèse des connaissances acquises en fréquentant différentes conférences ou formations sur le sujet à l’Université de Montréal. Pour aller plus loin, voir en particulier le travail de Vincent Larivière, (prof. agrégé à l’EBSI (UdeM) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations et la communication savante) et de Jean-Claude Guédon.

*Communiqué du 26 octobre 2018 des Bibliothèques de l’Université de Montréal.

** qu’on peut certes contester, mais pas sans avoir proposé des modèles alternatifs au préalable qui garantissent une certaine scientificité à la science.

no 6/ Par-delà (?) la « race »

Dans des contextes et à destination d’auditoires relativement hétérogènes, les deux dernières semaines m’ont offert l’occasion de prononcer quatre conférences (liens à venir) touchant à des notions ou des approches philosophiques susceptibles de nous éclairer sur ce monstre qui, bien qu’il n’ait évidemment jamais disparu, tend à se banaliser à des niveaux inquiétants : le racisme.

Je partage ici la bibliographie des sources que j’y ai évoquées ou qui m’ont permis de préparer ces présentations. Si le texte est en accès libre, un lien vous achemine vers lui ; sinon, vers une recension, une vidéo, un podcast, etc.

Bibliographie

Berenstain, Nora (novembre 2016), « Epistemic Exploitation », Ergo, an Open Access Journal of Philosophy, vol. 3, n°20170208

Bessone, Magali (2013). Sans distinction de race? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques. Paris: Vrin.

Bessone, Magali et Sabbagh, D. (dir.). (2015). Race, racisme, discriminations. Anthologie de textes fondamentaux. Paris: Hermann éditeur.

Déclarations d’experts sur les questions de race, « Question des races » (20 juill. 1950), UNESCO/SS/1

Diagne, Souleymane Bachir (2016), « Faire humanité ensemble et ensemble habiter la terre », Présence africaine (1), 11-19.

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Sarr, Felwine (2017), Habiter le monde. Essai de politique relationnelle, Mémoire d’encrier, collection Cadastres.

no 4/ S’initier à la philosophie africaine contemporaine

Pour les novices qui ne sauraient pas par où commencer, il existe de nos jours plusieurs ressources accessibles en ligne permettant d’acquérir, sans trop d’efforts, quelques bases de la discipline de la philosophie africaine telle qu’elle se pratique actuellement. Sans logique particulière aucheck listtre que le caractère introductoire, la durée d’un enregistrement ou la longueur d’un texte (suffisamment longs pour que l’élaboration d’arguments ne restent pas superficielle), j’ai listé ici quelques unes d’entre celles que je trouve utile pour se faire une idée générale des différents courants, des débats principaux, des sous-domaines de spécialisation, etc., en français et anglais.

Décoloniale dans son approche, la philosophie africaine est par nature transdisciplinaire: on ne s’étonnera donc pas de retrouver dans cette liste des ressources que certains préféreraient enfermer à l’intérieur de l’enclos d’autres domaines que celui de la philosophie.

  • Cycle de six conférences d’introduction à la philosophie africaine par Franklin Nyamsi à l’Université de Rennes, de près de deux heures chacune, sur les thèmes de: 1) L’Afrique comme problème philosophique ; 2) La question de la race dans la philosophie africaine ; 3) Histoire schématique de la philosophie africaine ; 4) Méthodes de la philosophie africaine ; 5) Statut du philosophe dans les sociétés africaines contemporaines ; 6) La réception internationale de la philosophie africaine.
  • Sur le site de Thinking Africa, une série d’entretiens filmés avec plusieurs penseurs contemporains du continent : dont Savadogo Mahamadé, Fabien Eboussi Boulaga, Achille Mbembe, Souleymane Bachir DiagneSeloua Louste Boulbina, etc.
  • Si la durée à elle seule était garante de la qualité du contenu, cet improbable documentaire sur la vie et l’oeuvre de V.Y. Mudimbe, Les Choses et les Mots de Mudimbe (de Jean-Pierre Bekolo) remporterait certainement la palme de l’intérêt. Passionnant pour les initiés, cet entretien de quatre heures (sic) avec l’idéateur des notions d' »invention de l’Afrique » ou de « bibliothèque coloniale » aurait néanmoins gagné en clarté si le travail de montage avait été un peu plus resserré.
  • De Mudimbe, on trouve aussi cette discussion avec Boaventura de Sousa Santos dans le cadre d’une série intitulée « Conversations of the World ».
  • Un dossier sur la philosophie africaine préparé par l’African Studies Center de Leiden, lequel accompagne un cycle de conférences sur l’ubuntu organisé en 2003, avec pour invité.e.s Mogobe B. Ramose (aussi invité de Boaventura de Sousa Santos ici), Sophie B. Oluwole, Kwasi Wiredu et Paulin J. Hountondji. On y retrouve tout un tas de ressources utiles, comme des bibliographies des titres-phares de chacun de ces  auteurs, des ouvrages plus généralistes (readers, companions, etc.) et quelques articles en accès libre tout en bas de la page.
  • Il n’aura échappé à personne que les Ateliers de la pensée de Dakar et St-Louis figurent parmi les événements les plus courus en philosophie africaine, particulièrement par les médias. Issues de la deuxième édition, on peut trouver au moins trois « Causerie avec… » Souleymane Bachir Diagne, Achille Mbembe et Nadia Yala Kisukidi dans les archives du Point Afrique.
  • Dans la même veine, le cycle de conférences 2015-2016 de la Chaire de Création Artistique du Collège de France dont Alain Mabanckou était alors titulaire : Achille Mbembe, Françoise Vergès, Séverine Kodjo-Grandvaux, Lydie Moudileno, etc.
  • Intitulé « New York-Paris-Dakar : une philosophie en mouvement », un entretien avec Souleymane Bachir Diagne mené par Adèle Van Reth pour Les Chemins de la philosophie (France Culture). Si vous êtes comme moi, vous ne vous lassez jamais d’entendre Bachir Diagne. Vous pourrez donc le réécouter en entrevue sur Philodio, le podcast de la revue de la Société Québécoise de Philosophie, Philosophique ; ou dans cet enregistrement vidéo de la conférence qu’il a donné à Montréal au sein du cycle de conférences que j’ai organisé dans le cadre des activités de la Chaire PolEthics.
  • À cette occasion, Nadia Yala Kisukidi partageait la tribune avec une intervention intitulée « Du retour en Afrique ».
  • À épouiller, aussi, les 38 vidéos (!) généreusement mises en ligne par le professeur de l’UCAD Hadi Ba sur sa chaîne youtube, issues du Colloque-hommage à Souleymane Bachir Diagne de janvier 2018.
  • Le billet de blogue d’Anke Graness « Philosophy in Africa, a case of Epistemic Injustice in the Academia » qui provoqua dans les pages du prestigieux Daily Nous un débat des plus intéressants (pour le dire poliment).  Dans un autre article de la même autrice, « Question of Canon Fomation in Philosophy : The History of Philosophy in Africa », Graness remarque à raison que les distorsions épistémiques léguées par la raison coloniale sont invasives jusque dans l’écriture (en cours) d’une « histoire officielle » de la philosophie africaine. Des domaines entiers de la littérature critique en philosophie africaine demeure en effet relativement peu explorés pendant que tendent à se canoniser différents autres courants.
  • Cette invisibilisation est le lot des philosophies lusophones, afrophones (en langues africaines), afro-islamique ou de la philosophie féministe, notamment. Sur la philosophie féministe, qui reste un parent pauvre de la philosophie africaine et un domaine en chantier, je consacrerai un billet entier. Mais notons tout de suite que les débats sont dominés par les thèses 1) du maternalisme originel et 2) du négationniste du genre, tel que défendues par Oyeronke Oyewumi notamment, dans son aussi populaire que controversé ouvrage The Invention of Women (1997). Pour ma part, je suis convaincue par la critique que fait de ces thèses Bibi Bakare-Yusuf particulièrement : à lire, son excellente recension critique « Yoruba’s don’t do gender« 
  • Ont été récemment mis en ligne deux podcasts en anglais sur le rationaliste éthiopien du XVIIe siècle Zelda Yacob et son disciple Welda Heywat (dont le canadien Claude Sumner a d’ailleurs été l’un des rares spécialistes).
  • Ces deux épisodes font partie d’une série fort intéressante intitulée History of Africana Philosophy.  Si je retiens plus spécifiquement les enregistrements portant sur ces deux philosophes éthiopiens, c’est que pour des raisons sur lesquelles je n’épiloguerai pas ici, je ne trouve pas qu’aille de soi l’équivalence établie entre « philosophie africaine » et le concept  de « philosophie africana« , telle que définit par Lucius Outlaw.  J’y reviendrai sans doute un jour.
  • Dans une approche plus familière aux anglophones du continent qu’aux francophones africains, une entrée encyclopédique sur l’histoire de la philosophie africaine rédigée par Jonathan O. Chimakonam de l’Université Calabar au Nigéria.

Évidemment, en aucun cas ces suggestions ne sont-elles exhaustives.

À suivre, donc…

 

no 3/ Toubab et philosophe africaine?

moi 1986Il m’arrive souvent qu’on me regarde avec curiosité, qu’on s’étonne voire qu’on s’indigne de découvrir que je sois « blanche » alors que mes intérêts tournent autour de l’Afrique depuis que j’ai commencé mes recherches de maîtrise, aux alentours de 2006, dont a résulté un mémoire : L’incidence de l’ajustement structurel sur les inégalités socio-économiques dans un contexte néo-patrimonial : le cas du Sénégal (ici). À l’époque, c’est une inclinaison très personnelle qui m’avait poussée à choisir mon sujet de recherche et, plus précisément, le pays que j’allais examiner: j’ai passé en effet quelques années d’enfance déterminantes à Dakar dans les années 1980.

Né au pays du Levant sous protectorat français, mon père s’est établi au Québec à la fin des années 1960, quelques années après le décès du sien, survenu au moment d’embarquer dans l’avion qui l’amènerait au Congo pour fonder sa clinique médicale. Porté par une conjoncture politique et religieuse née de l’impérialisme, mon grand-père posait sans le savoir les prémisses d’une lignée familiale, son fils mon père réalisant toute sa carrière en Afrique francophone où j’ai été amenée à le rejoindre au Sénégal, au Mali, au Niger et au Tchad. Je suis aujourd’hui mariée à un Congolais. Autant dire que le continent, ses littératures, ses cultures, mais aussi les mythes qui planent sur lui et que continue d’alimenter la « bibliothèque coloniale » (V.Y. Mudimbe) ont toujours fait partie de ma vie.

Comme être « noir.e », être « blanc.he » est le fruit d’un rapport social. Je suis « blanche » parce que l’histoire qui m’a précédée est celle de l’hégémonie d’une domination raciale blanche dont les tentacules se sont étendues sur l’ensemble du globe et continuent de se pratiquer sous d’autres formes aujourd’hui. Du fait de mon appartenance visible à ce groupe, certains privilèges me sont arbitrairement concédés au quotidien et au sein des institutions.

Cette domination raciale pluriséculaire a fait le monde occidental tel qu’on le connaît aujourd’hui, avec ses avantages comparatifs en matière d’industrialisation, de militarisation, ses pouvoirs hégémoniques sur la scène internationale – bref, son racisme structurel. Cette domination a aussi légué une histoire intellectuelle et des postulats normatifs, progressivement canonisés (particulièrement en philosophie), y compris hors d’Occident. Sur eux, se déploient des efforts de décolonisation épistémique depuis au moins l’époque des Indépendances, n’en déplaise à ceux qui voient sur cet enjeu un effet de mode académique récent. À l’issue de débats ayant eu cours sur plusieurs décennies, sur la question de la « race » (et de toutes les appartenances premières en général) la philosophie africaine contemporaine se positionne en porte-à-faux des postures défendues dans le monde atlantique : elle cherche de toutes ses forces à quitter le paradigme de l’identité (raciale, noire, de l' »authentiticité », de l' »africanité », etc.).

C’est sur cet arrière-fond de débats que, lors de ma soutenance de thèse, la première parole de mon examinateur externe a consisté à me souhaiter la bienvenue au sein de la « communauté des philosophes africain.e.s ». Le choix des mots n’était pas gratuit : je n’étais pas accueillie comme spécialiste de la philosophie africaine, mais comme philosophe africaine. Dans un contexte intellectuel où les débats sur la question noire sont largement dominés par les black studies états-uniennes, j’ai voulu explorer dans un texte intitulé « Être ou passer pour Blanche et philosopher avec l’Afrique«  (ici) les complexités que mettait à nu ma positionnalité singulière, de femme universitaire (qui passe pour) blanche et philosophe avec l’Afrique des continentaux, depuis cet autre continent (américain) de la violence raciale par excellence…  En fin d’article, on peut trouver une liste de ressources pédagogiques utiles, que j’actualiserai prochainement sur ce blogue.  Le texte est paru dans un dossier « Blanc.he.s comme neige? » initié avec l’anthropologue Marie Meudec et publié en 2017 dans la revue québécoise Raisons sociales.

* « Toubab » est un terme communément employé en Afrique de l’ouest pour désigner un.e Blanc.he.