There is a need to face the terrible reality of Africa-based researchers who are constantly faced by paywalls, ruthlessly expensive access, and publication fees. While Africanists in western universities benefit from their institutional subscriptions, the rising costs of scientific journals are unsustainable even for Canadian universities, let alone for under-funded African academic institutions.
Il y a quelque temps paraissait sur le site d’analyse et de critique Africa is a country un billet décapant signé Haythem Guesmi intitulé « The gentrification of African studies » dont est extraite la citation en épigraphe. Le texte pose un diagnostic qui mérite d’être lu intégralement. Si mon attention s’est fixée sur la justesse de plusieurs des conclusions qui y sont tirées, je l’évoque ici surtout pour introduire ce billet sur l’accès libre que je souhaite écrire depuis longtemps. Je suis toujours étonnée en effet par le peu d’engouement de la plupart des chercheur.e.s engagé.e.s scientifiquement en faveur de la décolonisation des savoirs à promouvoir et adopter activement le libre accès comme un enjeu de première importance.
Les multinationales du savoir
On peut compter sur les doigts d’une main le nombre d’éditeurs universitaires qui, à eux seuls, se partagent la moitié du marché de l’édition savante. Entre 1986 et 2011, non seulement le prix des revues qu’ils éditent a été multiplié par 4, ils ont également réussi à imposer des conditions indécentes aux bibliothèques universitaires à la faveur du passage au numérique. À ces dernières, les éditeurs n’autorisent plus en effet l’achat de revues « à la pièce » ou alors à des coûts tellement rédhibitoires que les budgets d’établissement leur interdisent de faire de tels choix.
Plutôt, on leur propose des abonnements par « bouquets », chacun contenant un ensemble de revues de qualité et de prestige inégal. De telle sorte qu’au lieu de se doter, par exemple, de trois revues hautement convoitées, les bibliothécaires se trouvent contraints d’acquérir plusieurs dizaines de revues supplémentaires d’intérêt relatif afin de s’assurer l’accès aux dites trois revues, avec un coût correspondant à l’accroissement des acquisitions. S’en étonnerait-on, les périodiques les plus en demande par les chercheur.e.s se trouvent disséminés dans une panoplie de bouquets dont la tarification augmente par ailleurs de 10 à 20% annuellement.
En 2017, les auteurs de l’UdeM ont publié gratuitement 2544 articles chez les cinq grands éditeurs commerciaux que sont Elsevier, Wiley, Springer, Taylor & Francis et Sage. Toujours en 2017, les bibliothèques de l’UdeM ont néanmoins dû payer 3,8M$ pour accéder aux périodiques de ces cinq mêmes éditeurs… *
Leur modèle d’affaires (aussi lucratif que celui des pharmaceutiques) repose pourtant entièrement sur la production non-rémunérée d’articles produits par des chercheur.e.s ($), le plus souvent financé.e.s par des fonds publics ($$), qui lèguent au passage leurs droits d’auteurs à la revue ($$$), voient leur soumission évaluée par des pairs sollicités pour effectuer une révision bénévole ($$$$) qui, au final, ne sont accessibles que via un abonnement par les bibliothèques ($$$$$) ! Ce qu’on appelle virginalement l' »économie du savoir » repose en somme sur une économie de rente (si ce n’est un cartel?) rendue possible par la prédation des canaux de diffusion. Avec de telles pratiques léonines, autant dire sans se tromper que la plupart des institutions des Suds sont hors course des circuits transnationaux de la recherche, ce dès la ligne départ, et que les travaux produits par leurs chercheur.e.s sont sans surprise, sous-représentés au niveau mondial.
Espoirs et déboires du libre accès
Au sein de cet écosystème, le libre accès cherche à briser ce privilège et les éditeurs à but lucratif l’ont très vite compris : il est de plus en plus fréquent en effet qu’ils fassent aux auteur.e.s la proposition aberrante de débourser eux-mêmes des frais supplémentaires (qui peuvent s’élever à plusieurs milliers de dollars, selon les disciplines) s’ils souhaitent rendre leurs travaux librement accessibles. La définition formelle du « libre accès » ne s’accommode pas aussi facilement de ce petit aménagement : le « libre accès » suppose en effet l’entière gratuité, qu’elle soit monétaire ou informationnelle (lorsque le site exige votre inscription, vos noms, institutions, coordonnées, etc.). En principe, donc, les sites d’Academia.edu ou de ResearchGate.net, s’ils donnent certainement de la visibilité aux travaux et permettent de mettre en réseau un grand nombre de chercheur.e.s (et à ce titre, sont structurellement incontournables) ne sont pas stricto sensu des ressources en libre accès, même dans leur version gratuite. Leurs systèmes d’analytiques ont d’ailleurs le vilain défaut d’encourager l’appauvrissement du champ des possibles découvertes scientifiques en faisant de ce qu’ont lu les membres de votre réseau les frontières de la revue de littérature qu’il faudrait avoir couvert.
Depuis le Nord où un nombre croissant de travaux est produit sur la décolonisation des savoirs ou sur des thèmes d’intérêt pour les diasporas et leurs communautés natives, nous avons la responsabilité de ne pas verrouiller nos publications si tant est que nous accordons une valeur émancipatrice à l’éducation et à la connaissance. Si ce qui sera exposé à la suite ne résoudra certes pas le déséquilibre dans la relation de réciprocité scientifique que nous devrions viser, à moins de militer pour le « décrochage », de la recherche mondialisée, des écosystèmes de recherche des Suds (une stratégie défendable, même si je ne la partage pas), on peut au moins au Nord opposer aux options à visées commerciales deux alternatives, appelées voies « dorée » et « verte ».
La voie dorée consiste à publier directement dans une revue en accès libre qui publie les articles sous l’une ou l’autre des licences Creative Commons. Le Directory of Open Access Journal indexe des milliers de revues scientifiques de qualité en accès libre et qui suivent un processus éditorial rigoureux d’évaluation par les pairs.
La voie verte consiste quant à elle à auto-archiver ses propres publications sur son site personnel, son blogue ou sur une archive institutionnelle (d’une université, d’un centre national de recherche, etc.). Même avec une revue payante, les contrats d’édition autorisent généralement l’archivage de l’une ou l’autre des versions du texte (finale, soumise, corrigée, originale, etc.) sous réserve parfois de respecter un certain délai entre la publication et l’archivage. Dans certains cas, on peut même rendre accessible son texte en primeur antérieurement à la publication officielle dans la revue. En cas de doute sur les possibilités contenues dans le contrat d’édition, on peut consulter différents répertoires comme Sherpa/Roméo (angl.), Héloïse (fr.), Dulcinea (esp.) ou encore vérifier auprès de l’éditeur lui-même.
Parce que l’archivage institutionnel est fait par des professionnel.le.s de la préservation, la valorisation et la diffusion des savoirs, elle est à privilégier lorsque possible : grâce à leurs soins, 93% des archives institutionnelles sont indexées sur le moteur de recherche Google Scholar, par exemple, ce que l’auto-archivage « à la mitaine » ne permettra jamais d’atteindre.
Avec son programme Horizon 2020, l’Union Européenne s’est engagée dans la voie contraignante en exigeant des titulaires de fonds de recherche européen la diffusion en accès libre de leurs travaux, sous peine de sanction financière dans le cas d’un non-respect des conditions. Ces principes s’appliquent aussi officiellement aux bénéficiaires de fonds d’organismes subventionnaires canadiens, mais je connais un nombre incalculable de chercheur.e.s qui font fi de cette consigne sans que cela n’entraîne de conséquences.
Les éditeurs prédateurs
On ne peut pas conclure ce billet sans évoquer l’existence de cet autre phénomène pervers né à la faveur de la mondialisation de l’université : les éditions prédatrices. Vous est-il arrivé de recevoir un message d’une maison d’édition que vous n’avez jamais contactée et qui, s’affublant de l’épithète respectable d' »universitaire », vous annonce se réjouir de la perspective de publier votre thèse? S’il existe certainement de nouveaux éditeurs inexpérimentés qui cherchent à construire leur catalogue et vont à la pêche aux candidat.e.s, les éditeurs dits prédateurs sont le plus souvent mal intentionnés et abusent à la fois de la naïveté (ou de l’orgueil) de jeunes auteur.e.s, et de la pression universitaire à la publication à tout prix (publish or perish). Ne s’intéressant pas à la qualité ni du manuscrit ni de la publication finale, ces éditeurs ne suivent pas les procédures usuelles de l’évaluation scientifique**, mettent très peu d’efforts à la révision et mise en pages, ne remplissent pas leurs promesses de diffusion, exigent de l’argent pour vous publier, etc.
De telle sorte qu’une publication chez ce type de maison d’édition, au lieu de jouer en faveur du candidat.e. dans un CV, le discrédite au regard de ceux qui connaissent le phénomène. En cas de doute, on peut consulter l’outil créé par l’Université de Brock afin de faciliter l’identification de ces faussaires.
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Notes et références
Les informations contenues dans ce billet sont une synthèse des connaissances acquises en fréquentant différentes conférences ou formations sur le sujet à l’Université de Montréal. Pour aller plus loin, voir en particulier le travail de Vincent Larivière, (prof. agrégé à l’EBSI (UdeM) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations et la communication savante) et de Jean-Claude Guédon.
*Communiqué du 26 octobre 2018 des Bibliothèques de l’Université de Montréal.
** qu’on peut certes contester, mais pas sans avoir proposé des modèles alternatifs au préalable qui garantissent une certaine scientificité à la science.