no 3/ Toubab et philosophe africaine?

moi 1986Il m’arrive souvent qu’on me regarde avec curiosité, qu’on s’étonne voire qu’on s’indigne de découvrir que je sois « blanche » alors que mes intérêts tournent autour de l’Afrique depuis que j’ai commencé mes recherches de maîtrise, aux alentours de 2006, dont a résulté un mémoire : L’incidence de l’ajustement structurel sur les inégalités socio-économiques dans un contexte néo-patrimonial : le cas du Sénégal (ici). À l’époque, c’est une inclinaison très personnelle qui m’avait poussée à choisir mon sujet de recherche et, plus précisément, le pays que j’allais examiner: j’ai passé en effet quelques années d’enfance déterminantes à Dakar dans les années 1980.

Né au pays du Levant sous protectorat français, mon père s’est établi au Québec à la fin des années 1960, quelques années après le décès du sien, survenu au moment d’embarquer dans l’avion qui l’amènerait au Congo pour fonder sa clinique médicale. Porté par une conjoncture politique et religieuse née de l’impérialisme, mon grand-père posait sans le savoir les prémisses d’une lignée familiale, son fils mon père réalisant toute sa carrière en Afrique francophone où j’ai été amenée à le rejoindre au Sénégal, au Mali, au Niger et au Tchad. Je suis aujourd’hui mariée à un Congolais. Autant dire que le continent, ses littératures, ses cultures, mais aussi les mythes qui planent sur lui et que continue d’alimenter la « bibliothèque coloniale » (V.Y. Mudimbe) ont toujours fait partie de ma vie.

Comme être « noir.e », être « blanc.he » est le fruit d’un rapport social. Je suis « blanche » parce que l’histoire qui m’a précédée est celle de l’hégémonie d’une domination raciale blanche dont les tentacules se sont étendues sur l’ensemble du globe et continuent de se pratiquer sous d’autres formes aujourd’hui. Du fait de mon appartenance visible à ce groupe, certains privilèges me sont arbitrairement concédés au quotidien et au sein des institutions.

Cette domination raciale pluriséculaire a fait le monde occidental tel qu’on le connaît aujourd’hui, avec ses avantages comparatifs en matière d’industrialisation, de militarisation, ses pouvoirs hégémoniques sur la scène internationale – bref, son racisme structurel. Cette domination a aussi légué une histoire intellectuelle et des postulats normatifs, progressivement canonisés (particulièrement en philosophie), y compris hors d’Occident. Sur eux, se déploient des efforts de décolonisation épistémique depuis au moins l’époque des Indépendances, n’en déplaise à ceux qui voient sur cet enjeu un effet de mode académique récent. À l’issue de débats ayant eu cours sur plusieurs décennies, sur la question de la « race » (et de toutes les appartenances premières en général) la philosophie africaine contemporaine se positionne en porte-à-faux des postures défendues dans le monde atlantique : elle cherche de toutes ses forces à quitter le paradigme de l’identité (raciale, noire, de l' »authentiticité », de l' »africanité », etc.).

C’est sur cet arrière-fond de débats que, lors de ma soutenance de thèse, la première parole de mon examinateur externe a consisté à me souhaiter la bienvenue au sein de la « communauté des philosophes africain.e.s ». Le choix des mots n’était pas gratuit : je n’étais pas accueillie comme spécialiste de la philosophie africaine, mais comme philosophe africaine. Dans un contexte intellectuel où les débats sur la question noire sont largement dominés par les black studies états-uniennes, j’ai voulu explorer dans un texte intitulé « Être ou passer pour Blanche et philosopher avec l’Afrique«  (ici) les complexités que mettait à nu ma positionnalité singulière, de femme universitaire (qui passe pour) blanche et philosophe avec l’Afrique des continentaux, depuis cet autre continent (américain) de la violence raciale par excellence…  En fin d’article, on peut trouver une liste de ressources pédagogiques utiles, que j’actualiserai prochainement sur ce blogue.  Le texte est paru dans un dossier « Blanc.he.s comme neige? » initié avec l’anthropologue Marie Meudec et publié en 2017 dans la revue québécoise Raisons sociales.

* « Toubab » est un terme communément employé en Afrique de l’ouest pour désigner un.e Blanc.he.

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